INCREDIBLE INDIA
On ne peut visiter l'Inde comme on visite un autre pays car l'Inde est multiple et insaisissable d'un point de vue global. Le choix porte sur quelques provinces du Nord-Est dont les habitants sont restés ancrés dans la tradition séculaire et sont fiers de leurs racines. Meghalaya, Arunachal Pradesh, Nagaland et Assam ne doivent pas être familières aux oreilles occidentales, la dernière mis à part. Ces provinces ont un côté "sauvage" qui frappe le voyageur. En effet il est peu usuel de rencontrer d'anciens coupeurs de tête qui racontent sans broncher leur activité passée. De même il est troublant de remarquer que certaines ethnies vivent encore comme il y a cinq siècles, avec une consommation quotidienne d'opium comme lien social, l'électricité étant leur dernière conquête. Tout cela concourt à faire des images qui vont suivre des documents exceptionnels car il est peu banal de rencontrer un roi même s'il est déchu de son pouvoir politique ou des chamans qui pratiquent encore magie et divination pour guérir des maladies. Mais tout cela vit, danse et s'amuse dans une allégresse de bon aloi.
A Tura, dans la province du Maghalaya, il y a fête chez les ethnies garo, fières de présenter au public leurs danses et leurs chants. Les productions s'enchaînent et c’est bientôt plus de trois cents acteurs qui se déhanchent sur le terrain au son des tambours et des cornes. C’est assez beau, une vraie ronde enchantée. Un spectacle haut en couleur dont on ne se lasse pas car tout semble venir de la nuit des temps; c'est primaire, simple mais prenant.
Les plaines de l'Assam réservent bien des surprises. Hormis le thé et le riz produits tous deux en grande quantité dans la région, les routes mènent parfois vers des lieux inattendus. Comme ce cortège qui traverse une autoroute pour célébrer la journée des enfants ou encore ces pêcheurs du Bangladesh, réfugiés en Inde, qui attrapent des poissons dans un étang proche du Bramhapoutre. Finalement, les cueilleuses de thé de l'ethnie Adi-Basi, maquillées comme des déesses, s'activent à la tâche de mère en fille. Leurs maris ne cueillent pas les précieuses feuilles mais les mettent dans un grand sac après la pesée. Les ouvrières doivent, pour obtenir leur salaire hebdomadaire de 20 dollars, cueillir 24 kilos de feuilles par jour. Si elles en cueillent plus, elles touchent des extras. Certaines arrivent facilement à 40 ou 60 kilos par jour. Des championnes vont jusqu’à 100 kilos, les jours où les feuilles sont bien humides.
En Assam, les écoles ressemblent à celles que nous avons visitées dans les pays émergents. Beaucoup d'élèves, peu de professeurs, souvent mal payés et dépassés par la tâche. Mais c'est un tel lieu de vie et d'intégration sociale que cela fait chaud au coeur rien que d'y passer. L'uniforme est de rigueur et l'accueil y est chaleureux voire inoubliable pour un occidental.
Un cortège coloré où il n'y a que des femmes et des enfants traverse l'autoroute comme s'il s'agissait d'un passage clouté. Il n'en faut pas plus pour piquer la curiosité du voyageur. Croyant avoir affaire à des maîtresses d'école en balade avec leurs élèves, les questions fusent. Que fait un tel cortège ici? C'est la journée de l'enfant et les mères, soeurs, grand-mères entendent bien le rappeler aux hommes qui souvent, oublient qu'un enfant doit avant tout être protégé et non exploité. Belle leçon de courage et de volonté dans un pays qui compte encore largement sur ses petites mains pour s'en sortir économiquement.
La petite déesse danse
Le Brahmapoutre est un grand fleuve du Tibet (Chine), du Bangladesh et de l'Inde, sorti, comme l'Indus et le Satledj, de l'important massif du Kailâsh, vers le versant septentrional de l'Himalaya. Sa longueur est de 2900 km. Il baigne les plaines de l'Assam et ses rives sablonneuses sont assez difficiles d'accès car instables. Mais les Indiens ne manquent pas d'imagination et de nombreux bateaux et barges permettent de passer d'une rive à l'autre. Spectacle saisissant, surtout au coucher du soleil. Par endroits, les plus démunis habitent sur ses rives. Ce sont en général les familles des rickshaws et cyclo-pousse qui ont trouvé refuge dans des cabanes de bric et de broc. Mais on y trouve aussi des pêcheurs venus du Bangladesh voisin qui se contentent de maigres prises dans ses eaux et dans les étangs alentour.
Le matin les pêcheurs des villages côtiers pêchent dans le Brahmapoutre. Mais l'après-midi, lorsqu'il fait trop chaud , ils se replient vers l'intérieur et pratiquent la pêche dans les étangs qui jouxtent le fleuve à l'aide d'un grand filet. Ce ne sont que des hommes, avec des enfants mâles, car ils sont musulmans venus du Bangladesh, grand pays sunnite aux portes de l'Assam.
Les pêcheurs du Bangladesh
L'Arunashal Pradesh est une province du nord-est de l'Inde faisant frontière commune avec la Chine. Depuis 1962, date qui voit les escarmouches entre armée indienne et chinoise dégénérer en conflit ouvert, la situation n'a cessé d'être explosive. Une question de territoires revendiqués par l'un et l'autre pays, quelques arpents de terre qui ne valent pas les balles qui y ont été tirées depuis plus de 60 ans. Un conflit stupide, comme tous les conflits d'ailleurs. Il faut un permis spécial pour s'y rendre mais les ethnies apatani et adi qu'on découvre dans les villages, valent largement le détour. La nature y a tous ses doits, les routes sont étroites et très mal entretenues, la jungle dense et impénétrable. Quelques chamans pratiquent encore l'ancienne religion, celle qui fait appels aux esprits, aux forces naturelles, au feu, à la terre.
Les vielles femmes apatani portaient des ornements de nez en bambou et des tatouages bleus sur le visage. Ces parures étaient censées les enlaidir parce qu'elles étaient trop belles et que leurs ennemis appliquaient la loi du rapt. Les jeunes ont décidé de ne plus se soumettre à la tradition et même certaines d'entre elles se font opérer pour enlever les bouchons qui les empêchent de respirer normalement.
Le Nagaland est un État de l'Inde du Nord-Est. Sa capitale est Kohima. Le nom vient des Nagas, ethnie locale répartie entre seize groupes et trente tribus qui constituent 84 % de la population. Les minorités ethniques sont les Chin (au nombre de 40 000), les Assamais (220 000) et les Bengalis de religion musulmane (14 000). Plus de 85 % de la population professe le christianisme, principalement baptiste. Mais l'extrême est de la province est peuplé de redoutables guerriers chasseurs de têtes, les Konyaks, de sinistre réputation; 1962 est l'année de la dernière tête coupée. A la question, pourquoi étiez-vous coupeurs de têtes (certes sans canibalisme), la réponse tombe plate et sans remords aucun: parce que c'était la tradition, pour nous emparer des terres, des femmes, et qu'il y avait toujours une raison de se venger. Il y a encore un roi dans le village de Longwa, situé à quelques kilomètres de Mon, sous chef-lieu de la province, mais ce roi symbolique est opiomane et se concentre uniquement sur la cérémonie de la fumette entre amis. Ses trois femmes s'occupent des ses enfants et son regard allumé ne reflète plus que ses démons intérieurs.
Konsa, dans l'Arunachal Pradesh, réunit le plus grand festival intertribal de l'Inde du Nord-Est. Mis sur pied par le gouvernement, il a pour but de désamorcer les conflits entre villages et tribus qui se sont fait la guerre pendant des siècles. Chaque région vient ainsi danser, chanter, parader, se défouler sans violence mais avec beaucoup de conviction. Le spectacle haut en couleur et riche en émotions séduit le voyageur qui n'a qu'une envie, rejoindre les groupes qui se démènent à qui mieux sur la piste. Envoûtant.