XINJIANG, ROUTE DE LA SOIE
Pour passer du Kirghiztan au Xinjiang chinois il faut emprunter le col de Torugart, situé à 3600. Temps maussade, herbe brune, rochers impressionnants et pics enneigés tracent le décor du parcours. Les autorités chinoises, très chatouilleuses sur les visites de leur grande province musulmane, déploient un nombre important d'obstacles pour le voyageur. Soldats hiératiques, douaniers scrupuleux, police volubile et tatillonne, innombrables check-points, tout est fait pour décourager l'étranger de passage. Mais, finalement las de fouiller des affaires dans lesquelles ne se trouve rien d'intéressant, la clique des pandores lâche du lest et bientôt, au loin, se dessine la mythique Kachgar.
De Kachgar au lac Karakul (3300 mètres), la route est longue et en très mauvais état. Ce ne sont que nids de poule, trous, ornières, poussière, boue quand ce n'est pas la chaussée entière qui s'est effondrée. Le lac Karakul (le lac noir) dont les eaux baignent les pieds des deux géants enneigés de l’endroit, est sombre. Le Mustagh Ata (7546m) « le père des montagnes de glace » et le Kongur (7719m) composé de 7 sommets successifs trônent en majesté dans le lointain. Le hic c’est qu’ici le temps est très souvent à l’orage et si on a baptisé le lac de ce nom-là c’est qu’il reflète de gros nuages noirs générés par ces montagnes endiablées. Mais, surprise, vers la fin du trajet, une famille kirghize lave ses chèvres et ses moutons en les baignant dans l’eau froide d'un lac artificiel, le Bulun Kul. En fait c’est le père qui fait cela, bras nus et surtout pieds nus en retournant le mouton ou la chèvre sur le dos pour qu’il ou elle ne bouge plus. Hallucinant et très beau!
Arrivée vers le chemin qui mène au camp de base du Mustagh Ata (7546m). Quelques maisons en dur et des yourtes permettent aux grimpeurs de se reposer avant l'ascension. Mais des autochtones estivent dans ces prairies d'altitude et la vue sur le géant est impresionnante.
Poursuite de la Karakoram Highway qui part de Kachgar pour aboutir à Tashkorgan, la cité au château de pierre, une ancienne forteresse qui date de la dynastie han (300 av. J-C). Cette dernière était la limite de l’empire de l’époque. Détruit, reconstruit, redétruit, bref il a subi le sort de bien des forteresses sur la route de la soie. Le nouveau président chinois, Xi Jinping (le mari de la chanteuse d'opéra) a l'ambition de faire revivre l'amitié qui liait il y a bien longtemps le Pakistan et la Chine en prolongeant la Karakoram Highway de Tashkorgan jusqu'à Gilgit. La ville a deux rues principales qui se croisent et qui constituent un gigantesque marché avec échoppes et magasins. Ce qui frappe au premier abord, c’est la population. Des Kirghizes, comme de l’autre côté de la chaîne du Pamir, vers Murghab au Tadjikistan ou au Kirghistan. Mais ici, ces Kirghizes portent encore le costume, du moins la majorité des femmes qui arborent un chapeau carré, entièrement brodé main, entouré d’une sorte de foulard. De plus, certaines poussent la coquetterie jusqu’à tirer un trait entre les deux sourcils (monosourcils) pour se donner l’air plus sévère (?). Mais ce n’est pas tout, le costume comporte une veste brodée et une mini-jupe, oui une mini-jupe, portée même par les plus âgées. Quoi, la Chine aurait donc mieux protégé ces minorités que les pays d’où elles viennent! Incroyable pour qui connaît le rouleau compresseur chinois!
Tashkorgan est aussi un lieu d'estive pour les paysans du cru. Mais comme les pentes sont trop rudes, elle se fait en déplaçant les troupeaux horizontalement, sur les îlots à sec de la rivière qui a décru en été. Les yourtes se remplissent et la vie ressemble à celle des camps de montagne. L'hospitalité ne se dément pas pour autant et les gens ont le coeur sur la main et la joie au coeur.
La vallée d’Oytagh est haute en couleur et digne du coloured canyon du désert du Sinaï ou de ces collines de l’Utah dans lesquelles on peut se perdre mais qui sont étrangement colorées. Rouge, ocre, chamois, gris, blanc tranchent avec le vert des peupliers et des champs de maïs, c’est un festival auquel même ceux qui ne voient la vie qu’en noir ne peuvent résister. Tout au fond de la vallée, le glacier d'Oytagh se divise en deux et l'endroit draine beaucoup de touristes. Découverte surprenante, ici les yourtes ne sont pas en feutre ou en toile mais en terre. De plus elles sont peintes, des peintures représentants les lieux qu'elles habitent. De toute beauté.
L'ancienne Kashgar, ville de maisons en terre crue, tombe en ruine. En 2009, le gouvernement chinois avait forcé les habitants à quitter le centre pour raser les vielles demeures et les remplacer par de nouvelles équipées de l'eau potable, de l'électricité et des égoûts. Après intervention de l'ONU, les Chinois ont permis en 2011 aux habitants de rester au centre en leur rachetant leurs anciennes maisons avec obligation de les restaurer. Il y a donc aujourd'hui beaucoup de commerçants et des habitants vivant dans une ville propre et salubre, non dénuée de charme mais qui évidemment n'a plus l'aspect de ce qu'Ella Maillart a pu découvrir.
Le marché hebdomadaire de Kashgar se tient le dimanche et la plupart des touristes y assistent mais comme ce n’est plus du tout ce que c’était, l’intérêt est bien moindre qu’il y a 20 ans par exemple, lorsque la ville n’avait pas subi autant l’influence chinoise. De plus, comme l’attentat d’Urumqi avait eu lieu dans un marché chinois, il était préférable d'éviter ce genre de rassemblement. Départ pour le marché hebdomadaire de Yapchan qui se tient le mardi à 40km de Kashgar. Marché aux animaux, aux légumes, aux fruits, aux tissus bref à tout ce dont les paysans environnants sont friands. Mais marché aussi pour se procurer un peu d’argent en vendant des bêtes ou des légumes ou des fruits. Cela crée un bel embouteillage sur les routes et une sacrée cacophonie sur l’esplanade où se tiennent les échoppes, les stands et les parcs pour les animaux.
L'extérieur du marché a un aspect un peu plus rude, puisqu'il s'agit du marché aux animaux. Et ici c'est le mouton qui est roi. Les critères de choix de l'animal sont nombreux et chaque acheteur a des desiderata bien précis. Mais une caractéristique frappe d'emblée même le néophyte; c'est l'arrière-train du mouton qui doit être renflé et rebondi, plein de graisse pour prouver qu'il n'a pas souffert de la faim!
https://matietroux.ch/wp-content/uploads/2018/12/Marché-Yapchan....mp4
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Visite dans les villages aux alentours de Kashgar et, surprise, il y a des vignes qui croissent sur des palissades faites de branches entrelacées et irriguées par un bisse à peine sec, preuve de l’arrosage de ce matin. Pas de maladie, un feuillage vert vif et des raisins certes encore verts mais prometteurs dont les grains allongés surprennent un peu. Ces raisins sont tous séchés et destinés à l’exportation (en Russie notamment) disent trois hommes rencontrés au détour d’un chemin, et, évidemment (?), le vin n’existe pas ici ! Mais les raisins secs font fureur et tout ce qui n’est pas exporté est vendu sur les étals de Kashgar et des environs. Avant l’hiver, la vigne est taillée et les plants sont enfouis dans le sol pour éviter qu’ils ne gèlent ! Un travail de titans que les viticulteurs ont l’air de trouver normal.
Plus loin, un couple avec deux jeunes filles trient des abricots mûrs à souhait. Quel délice ! Ces abricots ont la peau assez dure mais ils ont un goût délicieux, différent de ceux de nos cotaux. Un vrai régal. Cette population rurale vit au rythme des saisons et des productions de la terre. Peu de choses ont changé depuis la nuit des temps si ce n’est le moteur à explosion et la télé. La vie s’écoule lentement, à l’abri des tonnerres de l’actualité, quoique…